En savoir plus sur l'annexe de Replay.
Page 141 : La tempete éclatait
La période qui mène à la Première Guerre mondiale me fascine. J'ai toujours eu du mal à comprendre comment l'Europe, à l'apogée de la période la plus stable, pacifique et prospère qu'elle ait connu jusqu'alors, a pu se saboter de son propre chef et inaugurer un siècle de guerre mécanisée et de meurtres de masse.
Tant de grands films et de livres ont été créés sur cette guerre qu'il m'est difficile de n'en recommander que quelques-uns. Août 1914, de Barbara Tuchman, se concentre sur le premier mois de la guerre ; c'est un classique. Dans L'autre avant-guerre, 1890-1914, Tuchman décrit l'Europe d'avant-guerre, celle de la jeunesse de mon grand-père. Son expression, « la Grande Guerre de 1914-18 est comme une bande de terre brûlée entre cette époque et la nôtre », m'est restée en tête durant toute l'écriture et le développement de mon jeu The Last Express.
La chanson sur cette page est « Die Wacht am Rhein », ressuscitée par la suite en un hymne de l'Allemagne nazie. En 1914, de tels hymnes patriotiques étaient chantés par les foules de toute l'Europe pour encourager leurs proches alors qu'ils partaient tuer et être tués.
Trivia:
Pour l'anecdote : la chanson de l'université de Yale, « Bright College Years », a la même mélodie. Quand j'y suis arrivé en 1981, j'ai été très étonné de me trouver dans un auditorium avec un millier d'autres jeunes de 17-18 ans pour chanter cet air enivrant qui était opposé à La Marseillaise dans une scène mémorable du film Casablanca ; et que mon grand-père avait aussi chanté à 17 ans, quoiqu'avec des paroles différentes.
Page 142 : Les troupes russes ont pris notre ville
La description que mon grand-père fait de son expérience de la Première Guerre mondiale prend plus de cent pages dans ses mémoires. Dans Replay, j'ai fait de mon mieux pour condenser son récit et en communiquer l'essence. J'ajouterai à la fin de ces notes un lien vers son chapitre entier en PDF pour les lecteurs qui s'intéresseraient à l'histoire militaire.
Page 143 : Une situation étrange
Sexe et caractère était le livre qu'ils lisaient effectivement tous les deux : une œuvre philosophique de Otto Weininger, en vogue à l'époque.
Page 144 : Franz Schubert vécut ici
En 1915, il y avait au mur de cette chambre d'hôte située sur Kettenbrückengasse une petite plaque relatant son lien avec Schubert. Aujourd'hui, c'est un musée Schubert et un lieu touristique viennois.
Page 147 : Ma premiere journée de soldat
J'étais terrifié à l'idée de dessiner ce chapitre. Je ne connais rien de la vie militaire. Quand je regarde un film de guerre, des détails tels que les modèles des armes, tanks, avions ou uniformes m'échappent complètement. Je savais que si j'essayais de bricoler ces points, les lecteurs au fait de ces choses le remarqueraient. Je ne me sentais tellement pas à la hauteur que j'ai d'abord sauté ce chapitre et je suis passé au sixième.
J'ai réuni toutes les références que j'ai pu trouver sur la Première Guerre mondiale : livres, photos, films et documentaires. La plupart des ressources que j'ai trouvées parlaient des soldats français, anglais et allemands sur le front ouest. Les récits austro-hongrois étaient plus rares.
Bien qu'à moitié préparé, j'ai fini par me lancer malgré tout et j'ai commencé à dessiner des cases. Après une semaine de recherches d'images sur internet avec des mots-clefs bien spécifiques comme « soldats autrichiens 1917 creusent tranchée front est », j'ai remarqué que mes meilleures découvertes venaient du compte Twitter @pikegrey1418. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Nicolai Eberholst, un jeune historien militaire danois s'intéressant tout particulièrement à l'expérience austro-hongroise sur le front de l'est.
Pendant les trois mois que j'ai passés à dessiner le chapitre 5 (novembre 2021 à janvier 2022), Nicolai a été mon ange gardien. Il m'a non seulement fourni des références photographiques introuvables, mais a en plus répondu en détail à mes questions et a relu mes pages et relevé mes erreurs. (Il l'a fait de nouveau pour mes pages sur la Seconde Guerre mondiale des chapitres 4 et 6, en faisant particulièrement attention aux les uniformes de la Luftwaffe.) Je lui en suis extrêmement reconnaissant.
Dans cette case, j'ai commencé par dessiner les initiales « FJI » (pour l'empereur autrichien François-Joseph) sur la cocarde de ce képi. Nicolai m'a fait remarquer que bien que le 83e régiment de mon grand-père ait été basé à Vienne, c'était techniquement un régiment hongrois et qu'on devrait donc lire « IFJ » sur la cocarde. C'est le genre de retour qui m'a convaincu que, si une page était acceptable aux yeux de Nicolai, elle le serait probablement aux yeux de la plupart des lecteurs.
Page 149 : Nagykereskény
Le village hongrois que mon grand-père connaissait sous le nom de Nagykereskény est aujourd'hui Krškanyn en Slovaquie ; Léva est devenu Levice.
Page 154 : Nous sommes remontés vers le nord
À l'époque de mon grand-père, la ville ukrainienne de Lviv (redevenue une zone de guerre en 2023) s'appelait Lemberg. J'ai fait une exception à la nomenclature austro-hongroise et utilisé son nom actuel pour cette carte.
Page 155 : Le front russe
Voici quelques-unes des nombreuses photos très évocatrices de la vie au front que Nicolas m'a envoyé.
Parmi les films sur la Première Guerre mondiale, je recommande le documentaire de Peter Jackson de 2018, Pour les Soldats tombés. Ce qui le rend remarquable, c'est qu'il n'est composé que d'images d'époque (vieilles de plus de 100 ans, elles ont été améliorées et colorisées numériquement et on y a ajouté des bruitages) et des voix de vétérans partageant leurs souvenirs. Pas d'interviews en plateau. L'effet est saisissant.
Page 159 : l'offensive Broussilov
Une des cartes que Papi a annotées et incluses dans ses mémoires.
Page 167 : Tu devais rester en arrière
Après avoir tapé ce passage, mon grand-père a inséré une page additionnelle (109-A) dans laquelle il a expliqué la décision qui lui a sauvé la vie.
Page 171 : J'ai été de nouveau transféré
Ici, j'ai condensé le récit de Papi et avancé neuf mois plus tard, passant directement de Vienne au front italien. Entretemps, il a passé trois mois à l'école d'officiers ; demandé et reçu la permission de finir le lycée à Vienne (ce qui devait être une bénédiction) ; puis a encore été muté vers un autre régiment (le 78e, en Slavonie), où il a appris le croate ; et a aidé à former de nouvelles recrues. Durant cette période, les États-Unis sont entrés en guerre contre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.
Des photos de mon grand-père avant et après sa promotion au grade de sous-lieutenant en Italie, et sa carte d'identité de 1917.
Page 174 : Un assaut décisif
D'après Giovanni Costantini (1872-1947), « Plan d'attaque ». J'ai remplacé les généraux du tableau d'origine par les commandants autrichiens ayant planifié cette bataille précise. J'ai également retiré la Faucheuse (mais j'ai conservé son ombre sur le mur du fond).
Un autre tableau glaçant sur la Première Guerre mondiale : « le Soldat et la mort », du peintre viennois Hans Larwin (1873-1938).
Page 177 : Prenez un siège
La Grande illusion (1937) de Jean Renoir est un de mes films préférés de tous les temps. Et je ne suis pas le seul : quelqu'un a demandé à Orson Welles les trois films qu'il emporterait sur une île déserte, et il a répondu : « La Grande illusion et deux autres films ». Comme je n'avais aucune idée d'à quoi ressemblait le commandant de l'hôpital de Papi à Pettau, j'ai pris la liberté de donner le rôle à Erich von Stroheim.
Page 178 : Mieux vaut vivre
« E meglio vivere un giorno daleone che cent'anni da pecora » (« Mieux vaut vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton ») était un slogan de l'Italie fasciste dans les années 30, mais Mussolini ne l'a pas inventé. Des soldats italiens l'ont écrit sur un mur après la bataille de Piave en 1918 (celle que mon grand-père a ratée). Le proverbe d'origine remonte au moins à l'Inde du 18e siècle.
Page 180 : Doom
John Romero, le co-créateur de Doom, m'a écrit une des premières lettres de fan que j'aie jamais reçue, en 1985. (Il avait 17 ans et venait de jouer à Karateka. J'en avais 20.) Nous nous sommes rencontrés pour la première fois des années après, à une conférence de développeurs de jeux (dans un ascenseur, en fait). J'ai pris des libertés artistiques dans cette case et dessiné John en train de me montrer Doom en 1993, mais ça ne s'est pas tout à fait passé comme ça.
Page 182 : Excursion
Pettau et Rohitsch sont désormais Ptuj et Rogaška Slatina, en Slovénie.
Page 184 : Une fin honteuse
Ce bref extrait des mémoires de mon grand-père laisse entrevoir son état d'esprit fin 1918, après l'effondrement de la monarchie austro-hongroise pour laquelle il s'était battu pendant trois ans.
Les lecteurs s'intéressant à l'histoire militaire peuvent télécharger ici le chapitre complet des mémoires de mon grand-père portant sur la Première Guerre mondiale. [PDF]
Page 184 : Vienne, Années 20
Dans les onze chapitres suivant des mémoires de Papi (de ses 21 à 40 ans), il déménage à Vienne, va en école de médecine, rencontre et épouse ma grand-mère (Hedy, pas Mitzi), devient docteur et père, puis invente la Viperin. Même si j'aurais aimé dessiner ces deux décennies dans le style de Replay, le rythme du livre réclamait de passer au chapitre 6 et de reprendre l'histoire de mon père en 1940, là où je l'avais interrompue au chapitre 4.
Pour les lecteurs curieux de la vie du jeune Adolf entre 1918 et 1938, j'ai posté ci-dessous quelques photos supplémentaires et des extraits de ses mémoires.
Leur rencontre a été très classique : la cousine d'Hedy a invité Adolf à un bal à la Sofiensaal, une grande salle viennoise, en sachant qu'elle serait là. Voici ce qu'il en dit :
« Là-bas, j'ai eu l'occasion de l'observer et je suis tombé amoureux d'elle. Depuis ce jour, il n'y avait plus qu'Hedy et plus aucune autre fille. La nuit, je rêvais d'elle. Je n'avais jamais ressenti ce que je ressentais pour elle. À mes yeux, elle était belle comme une madone, agréable et elle avait un joli sourire. J'ai aussi rencontré sa mère [Regina Ziegler] puisqu'elle la chaperonnait au bal. Elle m'a également fait forte impression et je l'ai immédiatement adorée.
Hedy venait de finir ses cinq années au Beamten-Töchter-Lyceum et avait commencé à étudier la chimie à l'université. J'ai alors fréquenté Hedy plus souvent. Je venais souvent la chercher à l'institut de chimie l'après-midi et je la raccompagnais chez elle. Bientôt, j'ai été invité chez elle et j'ai rencontré son père, le docteur Benjamin Ziegler, sa sœur Lisa qui avait 15 ans et était très jolie, et son frère Erich, un adorable garçon de 10 ans. Ils ont tous été très gentils avec moi et, en retour, je les aimais beaucoup. »
Il décrit également la vie un peu plus bohème de sa sœur Else à la même période :
« À l'époque, ma sœur Else habitait à Vienne, dans un studio du 8e district, sur Hamerlingplatz. Je me rappelle qu'elle était à la Kunstgewerbe-Schule, sur Ringstrasse, et étudier la peinture avec le professeur Mueller-Hoffman. Je lui rendais souvent visite et j'étais soufflé par les tableaux qu'elle avait créés. Je les trouvais tous magnifiques. Elle avait un coup de pinceau incroyable, savait s'exprimer et avec un très bon instinct du beau. Elle avait un style bien à elle, que je n'avais jamais rencontré dans les travaux d'autres artistes. C'était probablement la raison pour laquelle elle était souvent en conflit avec son professeur. Elle me racontait qu'il voulait qu'elle peigne comme il peignait. Non seulement je l'admirais, mais je l'aimais très fort et elle devait le sentir.
Une fois, j'ai amené Hedy à son studio, mais Hedy n'a pas semblé l'apprécier, ni elle ni la façon dont elle vivait. Elle se levait souvent tard le matin, puisqu'elle allait tous les soirs dans un café en particulier, le Opern Café, qui se trouvait sur l'Operngasse au coin de la Karlsplatz ; elle y retrouvait beaucoup d'artistes et rentrait sûrement tard le soir. Il lui fallait donc dormir plus tard le matin. Elle connaissait la plupart des grands artistes qui fréquentaient ce café. J'y ai moi-même rencontré le grand compositeur Franz Lehar, mais en journée. Ma mère la soutenait financièrement, puisqu'elle n'aurait jamais pu vivre de sa peinture. »
Leur frère Carl, un ténor dans l'opérette, est resté à Czernowitz (Cernauti en Roumanie, bien qu'il semble que personne dans la famille n'ait utilisé ce nouveau nom).
Papi consacre plusieurs chapitres à ses études de médecine et au début de sa carrière :
« Avant même d'avoir eu mon diplôme, le professeur Schnitzler m'a accordé le privilège de travailler dans le département chirurgie du Wiedener Krankenhaus, un hôpital tout proche. Schnitzler était le frère du célèbre dramaturge Arthur Schnitzler. Une fois diplômé, j'ai commencé à travailler dans le département de pathologie sous la direction du professeur Carl Sternberg, qui a donné son nom aux cellules de Sternberg de la maladie de Hodgkins ; je travaillais surtout de l'après-midi jusqu'au soir, et souvent jusqu'à tard dans la nuit. »
(Anecdote : Schnitzler a écrit l'histoire que le réalisateur Stanley Kubrick a adaptée et transposée à notre époque dans Eyes Wide Shut.)
Les mémoires de Papi incluent détails et autres anecdotes sur sa vie avec Hedy, leur famille étendue et leur cercle d'amis à Vienne, ainsi que sur leurs séjours dans la campagne autrichienne.
Cette photo d'une réunion de famille en 1927 à Trnava (alors Tyrnau) évoque parfaitement l'entre-deux-guerres à mes yeux. J'imagine le vert de la campagne slovaque derrière le photographe. Le grand-père de mon père, le docteur Benjamin Ziegler, est le quatrième en partant de la gauche sur le rang du bas ; à côté de lui se trouve sa fille Lisa, alors âgée de 23 ans. Seize des personnes sur cette photographie ont été assassinées entre 1938 et 1944.
Mes arrière-grands-parents Benjamin et Gina Ziegler apparaissent dans le chapitre 8 de Replay, quand mon père se remémore son enfance dans la Vienne d'avant l'Anschluss.
Cette photo montre mon père à 6 ans avec sa mère et sa sœur dans la région de Salzbourg, au Zinkenbach, la destination favorite de la famille pour les vacances d'été.
Ces vingt ans ont aussi été témoins de la montée du fascisme en Europe dans les années 20 et le début des années 30. Comme beaucoup à l'époque, mon grand-père en avait peur et s'inquiétait de plus en plus du climat politique en Autriche et en Allemagne. Mais même dans ses pires cauchemars, il n'aurait pu s'imaginer à quel point un gouvernement fasciste allait avoir un effet aussi direct que dévastateur sur sa famille à partir de 1938.
Le fascisme en action de Robert O. Paxton est un livre excellent et d'une grande finesse sur la période. Aussi rigoureux que facile à lire. Je le recommande à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire, et à la façon dont ses leçons pourraient s'appliquer à notre époque.
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