Page 187 : Un wagon-restaurant

En 1993, après la sortie de Prince of Persia, j'ai commencé mes recherches pour un nouveau jeu : The Last Express. C'était une aventure en temps réel ayant lieu en juillet 1914, à bord de l'Orient-Express traversant l'Europe à l'aube de la Première Guerre mondiale. Tomi Pierce (voir page 42) et moi avons écrit le script. Patrick, que j'avais rencontré en école de cinéma à New York, a été le premier à rejoindre l'équipe.

Dans un article de Newsweek de 1997, Tomi décrit comment nous nous sommes mis en quête de tout ce qu'il était possible d'apprendre sur l'Orient-Express d'avant-guerre. Je l'ai publié dans la section Bibliothèque avec d'autres ressources que nous avons réunies, tel ce plan de voiture-lit.

Les voitures des années 1900 étaient des merveilles fabriquées en teck, un bois qui brûle très bien. En 1993, seules trois de celles de l'Orient-Express de 1914 étaient encore intactes. Ironie du sort, l'une d'entre elles était la voiture privée du maréchal Foch, dans laquelle l'armistice de 1918 a été signé (voir p. 184, chapitre 5). C'est maintenant la pièce maîtresse d'un mémorial situé à Compiègne, au nord de Paris.

Page 188 : Une voiture-lit

Patrick et moi avons trouvé la dernière de ces voitures-lits, abandonnée et tombant rapidement en ruines, dans un dépôt de train d'Athènes. Après deux heures à nous regarder grimper dessus, en prendre des photos et autres mesures, ses gardiens nous ont demandé si on voulait l'acheter. C'était tentant, mais on ne savait pas où on l'aurait mise.

En février 2023, j'ai commencé à poster chaque semaine les entrées de mes carnets de 1993 dans la rubrique « il y a 30 ans cette semaine ». Si un récit rédigé dans les tranchées du développement vidéoludique des années 90 (ou dans de vieux trains) vous intéresse, vous pourrez en apprendre plus sur notre séjour de recherches à Athènes et sur d'autres aventures liées à la production de The Last Express dans la section Bibliothèque.

L'entrée du journal du 22 juillet 1993 décrit notre voyage de recherche à Athènes.

Page 189 : Berthe Morisot

Berthe Morisot (1841-1895) est souvent décrite comme l'une des grandes femmes impressionnistes. Inutile de préciser le genre d'après moi : elle fait partie des plus grands impressionnists tout court. Monet, Degas, Cézanne, Renoir, Pissarro… aucun d'entre eux n'a réussi à capturer le mariage fugace unissant lumière, air, ombre, mouvement et geste mieux que Morisot. Elle était mariée à Eugène Manet (le frère du plus célèbre Edouard) et les a souvent peints avec leur fille Julie dans des scènes domestiques. Les femmes n'avaient pas le droit d'emporter un chevalet pour peindre dans les bois, ou d'être seules dans une pièce avec un modèle nu. Ça ne l'a pas arrêtée. Si vous êtes à Paris, allez voir sa collection au musée Marmottan.

Page 191 : Recensement

Il s'agit probablement du décret du 27 septembre 1940 qui définissait les « Juifs » (sur un fondement religieux) et ordonnait le recensement de la population en zone occupée.

Le régime de Vichy (la zone non occupée ou « France libre ») édicta une loi similaire quelques jours plus tard, le 3 octobre 1940. Le décret de Pétain adopta la définition du Juif stipulée dans les lois de Nuremberg, défit les Juifs de France de leurs droits et les chassa de nombreux emplois. Le recensement était le début d'une série de mesures anti-Juifs prises par la France, qui iraient en empirant et culmineraient avec rafles, déportations et meurtres de masse en 1941-42.

Page 192 : Pourquoi les Roi devaient-ils partir ?

Mon père suppose que si M. Roi a décidé aussi vite de fuir la ville, c'était en partie pour protéger leurs femmes de chambre polonaises autant que leurs nouveaux amis réfugiés viennois. Peu importe ses raisons, je lui en suis reconnaissant.

Page 199 : La Bernerie

L'étendue de côte sauvage bretonne où était la maison de vacances des Roi dans laquelle mon père et Lisa se sont cachés pendant deux mois a connu un grand développement depuis 1940. Une promenade cyclable sépare maintenant les maisons de la plage. J'ai pris cette photo pendant le premier jour de mon road trip sur la côte Atlantique, en juin 2021.

Il y avait peu de chances que la propriété existe toujours, et encore moins que je ne la trouve. Là encore, j'ai eu de la chance. Les libraires de l'Embellie, une charmante librairie-salon de thé en bord de mer dans le village de La-Bernerie-en-Retz, m'ont envoyé à la gare où se trouvait le siège de la Société des historiens du pays de Retz. C'est là que j'ai rencontré Jean-Louis Vérisson.

D'après la description de mon père mentionnant deux maisons, un cottage et un belvédère ainsi que des marches en pierre descendant vers la plage près d'une écluse, Jean-Louis a déduit qu'il s'agissait potentiellement d'un endroit appelé « les Quatre jumelles ». Il a vérifié dans les archives et confirmé qu'une propriété en bord de mer nommée « La brise » avait appartenu à la famille Roy jusqu'en 1970. (C'est là qu'on a appris qu'ils écrivaient leur nom avec un y et non un i.) Ma fille Jane s'y est rendue quelques mois plus tard et a discuté avec les voisins des Roy, qui se souvenaient d'eux.

J'ai été navré d'apprendre que M. Vérisson nous a quitté en octobre 2021. Je lui suis extrêmement reconnaissant pour l'aide généreuse et proactive qu'il m'a fournie ; il a fait preuve d'une passion pour l'exactitude digne d'un détective cherchant à élucider un mystère.

Cette vue aérienne montre les Quatre jumelles en 1960 ; certaines des maisons ont été remplacées, et d'autres ont été construites tout près.
Cette carte postale plus ancienne donne un aperçu de ce à quoi a pu ressembler la propriété durant l'entre-deux-guerres.

Page 201 : La plage

Mon père a gardé plusieurs de ses dessins au pastel réalisés à La Bernerie. Il s'était fait une vilaine coupure en glissant sur des rochers et avait ordre du docteur de passer des heures dans le jardin chaque jour avec la paume tournée vers le soleil jusqu'à ce que la blessure cicatrise. Comme il s'ennuyait, il a passé son temps à dessiner.

J'ai fait celui-ci un après-midi que j'ai passé là-bas en 2021, avant de prendre la voiture vers le nord pour trouver le village.

Page 202 : Errance

La ballade allemande « Das Erkennen » (Reconnaître) de Carl Loewe (1796-1869) commence ainsi :

« Un jeune errant bâton en main
Revient chez lui d'un pays lointain.
Cheveux poussiéreux, par le soleil tanné,
Qui reconnaîtra ce garçon enfin rentré ? »

En arrivant en ville, le garçon croise un vieil ami après l'autre - d'abord le portier, puis sa bien-aimée - mais il a tant changé que personne ne le reconnaît. Seule sa vieille petite mère, tout juste sortie de l'église, s'exclame instantanément « Mon fils ! » et tombe dans ses bras. De quoi vous tirer une larme à coup sûr.

En 1969, le frère de Papi, Carl, nous a rendu visite à New York (unique voyage qu'il ait pu entreprendre depuis la Roumanie soviétique), et ils ont chanté des chansons autour du piano comme ils le faisaient à Vienne. Mon père se rappelle que quand ils ont joué celle-ci, Carl a dû s'arrêter au milieu car il avait la gorge serrée.

Enregistrement « Das Erkennen » par Adolph Mechner (MP3):

Mon demi-frère Benjamin (né en 2000) a récupéré cet extrait sur une cassette vieille de 40 ans. Pianiste doué, Ben perpétue la passion de la génération passée pour la musique classique. Je ne me rappelle pas de la visite de Carl (j'avais cinq ans), et je suis donc heureux que cet enregistrement existe.

Beaucoup des souvenirs de mon père et de Papi impliquent de la musique. J'ai fait différents essais pour les scènes de Replay et cherché une façon de la rendre plus présente, mais le medium de la bande dessinée (par comparaison avec, par exemple, le cinéma) n'est pas franchement idéal pour les instants musicaux.

Voici une autre page de notes prises lors d'une conversation avec mon père incluant de nombreux détails qui ne figurent pas dans le livre.

Page 206 : Les noyés

D'après le peintre néerlandais Jozef Israels (1824-1911).

Page 209 : La France libre

Vichy et les Juifs, de Michael Marrus et Robert Paxton, a été un livre révolutionnaire sur le gouvernement de Vichy et sa responsabilité dans la persécution des Juifs de France.

Lors de sa publication en 1981, ce livre a choqué l'opinion publique française. À l'époque, la majorité pensait que les lois antisémites françaises et les déportations de masse de 1940-42 avaient été imposées au régime de Pétain par l'occupant nazi, et que les autorités françaises avaient suivi le mouvement à contrecœur et n'obéissaient que quand elles n'avaient pas le choix. La vérité est bien plus sombre. Je recommande le livre de Marrus et Paxton (ainsi que sa seconde édition mise à jour) à quiconque s'intéresse au sujet.

Page 213 : Laissez-passer

Je suis fasciné par cette conversation entre mon père et Lisa, trouvée sur une cassette (l'étiquette dit « 1985 ou 1987 ? »). Pendant près d'une heure, ils évoquent l'aventure qu'ils ont vécue ensemble 45 ans plus tôt. Mon père (qui avait alors la cinquantaine, soit à peu près mon âge actuel) lui pose des questions et s'efforce de mettre à plat des détails et l'ordre des évènements. Parfois, il la corrige, et parfois c'est l'inverse.

Dans cet extrait, elle explique comment elle a obtenu le laissez-passer à Paris (Note : elle utilise le mot « Kommandantur », le nom du quartier général allemand.) Mon père est convaincu qu'elle ne lui raconte pas tout.

Un extrait d'une conversation des années 1980 entre Francis Mechner et Lisa Rosegg (MP3):