En savoir plus sur l'annexe de Replay.
Page 219 : Le Four Seasons
Restaurant emblématique de New York situé dans le Seagram Building, le Four Seasons était le lieu où déjeunaient les puissants et où on célébrait les occasions spéciales. Il était connu pour changer ses plantes quatre fois par an - même les figuiers hauts de cinq mètres entourant la piscine.
Après un demi-siècle, il a fermé en juillet 2016, le mois où j'ai emménagé en France.
Page 220 : Cannes
Le premier long métrage de mon ami d'université George Hickenlooper, Aux cœurs des ténèbres : L'Apocalypse d'un metteur en scène (un documentaire sur la création de l'Apocalypse Now de Coppola), a été projeté au Festival de Cannes en 1991. (John Singleton y était aussi pour Boyz n the Hood : La Loi de la rue.) George a invité ses amis à se joindre aux réjouissances.
Patrick et moi avons pris cette photo quand Aux cœurs des ténèbres est sorti en salles à Paris un an plus tard. Mon sac à dos Yale et mon exemplaire de l'International Herald Tribune sont des accessoires choisis par George. Assise à l'arrêt de bus au premier plan, c'est Sandrine, la petite amie de Patrick. L'homme entre nous n'est pas un acteur, même si on pourrait croire le contraire.
Cet été-là, George a insisté pour que notre ami Greg D'Elia et moi l'accompagnions pour un road trip de Cannes vers Munich afin d'interviewer Leni Riefenstahl, la brillante/tristement célèbre réalisatrice du Triomphe de la volonté. C'était une expérience surréaliste que de passer deux heures avec la cinéaste préférée d'Hitler et de l'écouter raconter sa vie. Dans l'ensemble, elle a défendu ses décisions, exprimé peu de regrets, et dit qu'elle s'était sentie injustement stigmatisée.
George fait une apparition dans Replay, chapitre 8 (page 262).
Page 220 : Le benzène
C'est une de ces rares fois où la mémoire de mon père (ou bien celle de Lisa) semble lui avoir fait défaut. Il se souvient d'elle disant que le benzène avait un point de congélation inférieur à l'eau. Il est en fait un peu supérieur. Pourquoi gardait-elle dans leur chambre d'hôtel une bouteille de benzène, un produit toxique, je me le demande encore. Mais quoi qu'il arrive, s'il a gelé, c'est qu'il faisait a minima frisquet dans cette chambre.
Page 222 : Teckels
Mon père se souvient d'avoir entendu cette blague racontée par un artiste de cabaret dans les montagnes Catskills, après la guerre.
Page 224 : Chantons quand même
Je vois dans le titre de cette comédie musicale de 1940 l'expression la plus concise de l'attitude que le régime de Vichy et les nazis espéraient que le peuple français adopterait pendant l'occupation.
Page 226 : Gambit
L'appartement de mon père à Manhattan est l'unique endroit dans ma vie qui, d'aussi loin que je me souvienne, est resté identique. C'est aussi le seul endroit dans Replay qui apparaisse dans plus d'un des fils narratifs : le jaune (chapitres 1 et 8) et le bleu (chapitre 7).
Durant les cinquante ans qu'il y a passés, les vitrines à papillon et les tableaux aux murs ont été réorganisés et le canapé remplacé, mais il n'a pas beaucoup changé à part ça.
Page 227 : Tournage en rotoscopie
Pour The Last Express, l'équipe du jeu a inventé (et fait breveter) un procédé de rotoscopie numérique. Nous avons créé sur mesure des costumes spéciaux, du maquillage et des perruques pour un casting de 30 acteurs, puis nous les avons filmés contre un écran bleu et avons converti ces images en quelque chose ressemblant à un dessin au crayon et à l'encre, que nous avons ensuite colorisé.
Aujourd'hui, vous obtenez cet effet sur Instagram du bout du doigt. En 1994, il a fallu inventer une nouvelle technologie.
Page 228 : Côte d'Azur
Je me suis rendu à Nice en février 2022 pour préparer les derniers chapitres de Replay. Je remercie Fabien Delpiano et Stéphanie Manfrini de m'avoir guidé, et notamment dit où trouver la meilleure socca. (Ci-dessous : petit croquis préparatoire réalisé sur site.)
Fabien, un développeur de jeux, m'a mis en contact avec son ami d'enfance Claude Seyrat, que j'ai rencontré à la librairie de son père (La Sorbonne). Avec l'aide de Claude, j'ai rassemblé des photos d'époque, des livres et de vieilles cartes postales qui m'ont aidé à dessiner le chapitre sur Nice.
Je tiens également à remercier Fabien de m'avoir conseillé de lire Romain Gary et Joseph Kessel, et de m'avoir averti des dangers parisiens à éviter lorsqu'on prépare une salade niçoise.
Page 229 : Près de la plage
Mes parents sont allés en lune de miel à Nice en 1962 et se sont rendus à l'ancienne adresse de Paul et Lisa, au 5 rue Gloria. La propriétaire y était toujours, et se souvenait de lui. Elle lui a avoué qu'elle avait toujours pensé qu'il était le fils illégitime de Lisa ; elle n'avait jamais cru à cette histoire de « neveu ».
En 2022, le petit appartement de Paul et le pavillon de la propriétaire derrière celui-ci ont disparu depuis longtemps.
Page 230 : Cailloux
Le soir où je suis arrivé à Nice, j'ai pris une vidéo de la plage et je l'ai envoyée à mon père. Il a dit que le bruit des cailloux qui roulent avec les vagues lui a évoqué des souvenirs très nets. On n'entend pas ça sur toutes les plages.
Ce dessin fait pour Replay, « Promenade des Anglais », est disponible dans une édition collector à tirage limité, numéroté et signé à la main, ou sous la forme d'un fond d'écran téléchargeable gratuit.
Pour découvrir davantage l'œuvre d'art visuel de Jordan, visitez la page Tirages d'art.
Page 233 : La Promenade des Anglais
J'ai été heureux de découvrir un film étudiant de 1930 réalisé par les jeunes Jean Vigo et Boris Kaufman, « À propos de Nice. » C'est une compilation de plans de Nice, avec sa promenade et ses habitants fascinants, souvent pris sous des angles aussi frappants qu'inhabituels.
Vigo avait un but subversif (ses parents étaient militants anarchistes et il a passé la majeure partie de son enfance en cavale). Il le décrit ainsi : « Dans ce film, par le truchement d'une ville dont les manifestations sont significatives, on assiste au procès d'un certain monde […] les derniers soubresauts d'une société qui s'oublie jusqu'à vous donner la nausée et vous faire le complice d'une solution révolutionnaire... » Il n'a fait que deux autres films avant de mourir à 29 ans.
Mon père a fait ce dessin au pastel de la promenade en 1940, dix ans après que Vigo l'a filmée :
Page 235 : Marché noir
Choisir les affiches, publicités et autres objets de décoration pour différents milieux et époques (et les dessiner) est un de mes aspects préférés du processus de recherche. Enfant, dans les années 70, un des premiers métiers que j'ai rêvé de faire (avant les jeux vidéo) était d'être artiste pour Wacky Packages, des cartes à collectionner parodiant des produits de consommation.
Page 236 : Le casino de la jetée
Mon père m'avait déjà parlé du célèbre casino sur le port de Nice qui avait été détruit par un incendie. Il s'en souvenait comme d'une ruine brûlée. Ce détail me perturbait car mes recherches m'ont appris que l'incendie avait eu lieu en 1883. Le casino a vite été reconstruit et a réouvert au public en 1891.
Dans l'entre-deux-guerres, le casino était un palais de cristal rutilant et apparaissait souvent sur les films, les photos et les tableaux comme celui-ci, de Raoul Dufy.
Mes recherches ne m'ont laissé aucun doute quant au fait qu'en 1940-41, quand mon père était à Nice, le casino était toujours intact - mais sombre d'aspect, j'imagine, du fait des coupures de courant et couvre-feux en temps de guerre. En 1942, le gouvernement l'a fermé et démonté pour y récupérer cuivre, laiton et câbles électriques dont l'armée allemande se servirait pour combattre les Alliés. Les ruines furent détruites un peu plus tard.
J'imagine que mon père a mélangé les deux histoires de la destruction du casino, une entendue enfant et l'autre adulte, et se l'est donc imaginé détruit. Comme il ne l'avait jamais vu qu'au loin, il se le rappelait dans cet état-là.
En tant que psychologue, il est tout à fait conscient des tours que la mémoire peut jouer et a tendance à se montrer sceptique avec les récits non vérifiés, dont les siens. C'est pourquoi, contre toute attente, il a été si ému lorsque mes recherches ont confirmé des points de détail à propos du Touquet, de la Bernerie, de Willi et des Roi (évoqués dans les notes sur les chapitres précédents) : il était persuadé de s'en rappeler, mais n'avait aucune preuve. Après 75-80 ans, sans Lisa pour confirmer ses souvenirs, une part de lui avait commencé à douter.
Page 242 : Cannes
À part mon séjour en 1991 (voir les notes de la page 220), mon image de Cannes vient d'un film que j'aime depuis l'enfance : La Main au collet. Je m'en suis inspiré sans vergogne pour mon portrait du cousin Marcel et de son hôtel emblématique.
Page 245 : Les champs de pommes de terre
D'après le peintre irlandais Charles McAuley (1910–1999). Et aussi Renoir et Van Gogh.
Page 246 : Ellis Island
Pszenicznagóra signifie « montagne de blé » en polonais. Ma mère pense que c'était soit le nom d'origine de mon grand-père, soit le nom de son village.
La case sur Ellis Island sort de ma propre imagination, influencée par le visionnage du Parrain, 2e partie (1974) à une période formatrice. Comme beaucoup, je croyais que les employés des services d'immigration des États-Unis avaient pour habitude d'américaniser les noms à consonance étrangère. Mon éditrice Tess Banta m'a repris durant une séance de vérifications pour la version anglaise de Replay : en réalité, les immigrants changeaient souvent leur nom avant de quitter leur port d'origine. Les inspecteurs d'Ellis Island notaient simplement ce qui était écrit sur le manifeste du navire.
Le point de départ le plus probable pour des émigrants polonais à l'époque de mon arrière-grand-père est Hambourg en Allemagne. Puisque Weitzberg n'est pas une américanisation mais plutôt une germanisation de « montagne de blé », je suppose qu'il a choisi ce nom par lui-même, peut-être avec l'aide d'un local, avant de s'embarquer.
Page 252 : La crise des missiles de Cuba
Au plus fort de la Guerre froide, le monde est passé tout près d'une apocalypse nucléaire. Après avoir découvert que l'Union soviétique construisait en secret des sites de missiles balistiques à Cuba, à tout juste 150 kilomètres des côtes de la Floride, les États-Unis ont imposé à l'île un blocus maritime.
Mes parents ont un souvenir très vif du discours de Kennedy à la nation du lundi 22 octobre 1962. (Replay étant une bande dessinée, j'ai pris la liberté de leur donner un poste de télévision plutôt qu'une radio. En réalité, ils n'ont eu leur première télé qu'en 1969, juste à temps pour voir l'homme marcher sur la lune.) J'ai condensé et paraphrasé les mots de Kennedy dans ces deux cases. Vous pouvez voir le discours en entier ici :
Après avoir entendu Kennedy ce lundi soir là, mes parents ont passé le mardi à vendre des actions, se procurer du liquide, ouvrir des comptes bancaires internationaux, acheter des billets d'avion, et faire leurs valises. Ils se sont envolés le mercredi matin, juste avant que les vols civils soient suspendus.
Pendant treize jours, les tensions entre les deux superpuissances nucléaires étaient si fortes que le conseiller de Kennedy Arthur M. Schlesinger Jr. a écrit : « Ce fut le moment le plus dangereux de l'histoire de l'humanité. »
Dans l'Atlantique nord, le 27 octobre, des destroyers de la marine américaine aperçurent un sous-marin soviétique B-59 qui forçait le blocus. Ils lancèrent des grenades sous-marines pour le forcer à faire surface. Mais le capitaine du submersible avait perdu le contact avec Moscou et ne savait pas qu'il y avait un blocus. Pensant que la guerre avait éclaté, il donna l'ordre de lancer ses torpilles nucléaires. Le protocole exigeait que deux officiers supérieurs approuvent cet ordre. L'un d'entre eux, Vasili Alexandrovich Arkhipov, refusa. Une dispute s'ensuivit. Vasili a tenu bon, et c'est grâce à lui que la Troisième Guerre mondiale n'eut pas lieu ce jour-là.
Si vous êtes d'humeur pour du divertissement parfum apocalypse et guerre froide, je recommande Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick et À la Poursuite d'Octobre Rouge (1990) de John McTiernan. WarGames (1983) ne joue pas dans la même cour, mais j'ai une affection particulière pour lui : j'avais environ le même âge que le garçon du film quand il est sorti, et ma chambre ressemblait beaucoup à la sienne.
Page 253 : Venezuela
Dans les années 60, mes parents ont pris beaucoup de films 8 mm et Super 8 de nos différentes vacances, ainsi que des heures d'images nous montrant moi et mes frères et sœurs en train de jouer. C'est aussi fascinant qu'ennuyeux à regarder. En 1982, je suis allé chercher leur vieille caméra dans notre cave pour faire de la motion capture en rotoscopie pour Karateka.
Page 256 : Pessah
J'ai situé le troisième Pessah de cette page à Czernowitz en 1904. Au premier plan, âgé de 7 ans, c'est Bubi (le surnom d'enfance de mon grand-père Papi), tandis que son grand-père Alter Bayer mène le Séder.
A. Bayer est mort en 1910 ; son épicerie sur Ringplatz a été vendue. La tradition familiale d'un respect strict des fêtes juives est morte avec lui. Dans les souvenirs d'enfance de mon père, les Mechner et les Ziegler de Vienne faisaient des repas normaux pour Pessah, Shabbat et Yom Kippour, sans cérémonie particulière. En tant que Juifs viennois assimilés, ils voyaient dans le judaïsme un héritage culturel, pas une religion.
Papi est le seul Mechner de sa géneration à être resté juif. Sa sœur Else s'est convertie au christianisme vers 1915 (voir Replay, chapitre 5, page 170), et a convaincu leur frère et leur mère de rejoindre eux aussi l'Église luthérienne. Cela a peut-être contribué à leur sauver la vie.
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