1er janvier 1995

Pris le thé avec Lisa et Ginny à Brooklyn. Lisa était bien plus en forme qu’à Noël. Elle a du mal à se situer dans le temps et dans l’espace, mais tout ce qu’elle dit est ancré dans le réel ; il suffit d’un petit effort d’interprétation pour en comprendre le sens. Comme les conversations qu’on a dans ses rêves, dont le sens véritable échappe souvent à la logique immédiate.

5 janvier 1995

Trois jours que je suis de retour au travail, et waouh, toujours debout.

Je suis rentré tard lundi soir, heureux de revoir S.F., j’ai conduit Patrick, Sandrine et Tomi à Fairfax, fait à dîner là-bas et pris un bain chaud sous une pluie légère. Ah, la Californie !

Mardi a été le premier jour de reprise. J’ai rapidement retrouvé mes marques. Brian a téléphoné pour me rappeler que j’avais été nominé pour les Eddy catégorie MacUser. On a assisté à la cérémonie mais on est rentré les mains vides.

J’ai montré le jeu à Denis Friedman et à John Evershed.

L’ambiance au bureau est fébrile. On avance lentement, mais sûrement.

7 janvier 1995

Hier (vendredi), Elia Cmiral est venu au bureau et y a passé toute la journée. Je l’apprécie. Je crois qu’il fera ça très bien. Le problème, comme souvent, est de savoir comment lui fournir l’information dont il a besoin pour travailler.

J’ai passé toute la journée d’aujourd’hui à plancher sur de nouvelles versions du script et des tableaux de références croisées entre le script et les scènes cinématiques, dans le but de faire comprendre – pas seulement à Elia mais aussi au designer sonore, à Nicki, Terry et à tout le monde – comment les scènes cinématiques s’intègrent dans l’histoire et dans le jeu dans sa globalité. Il était temps ! Il y avait trop d’infos que je n’avais jamais pris le temps de sortir de ma tête.

« Tu n’as rien de mieux à faire que de passer ton samedi ici ? » a demandé Terry.

J’ai répondu : « non. »

8 janvier 1995

Dîner avec Mark Netter et Elia et sa femme chez Mifune. On se récompense la nuit du dur labeur du jour.

Sur la route ou chez moi, je passe mon temps libre à écouter des morceaux réunissant piano et violon pour la scène du concert. J’aime particulièrement la sonate de Franck (en la majeur), mais celle de Brahms en ré mineur me plaît énormément aussi.

9 janvier 1995

Dîner avec Robert chez Greens après la salle. On a bu une bouteille de vin et joué au billard. Il est sur un petit nuage depuis qu’il est amoureux et il y remontait sitôt que j’arrivais à l’en faire descendre. Quant à moi, je me dévoue corps et âme à ce projet éléphantesque, qui ne laisse de place dans ma vie pour rien ni personne d’autre.

15 janvier 1995

J’ai rencontré Linda Fiorentino à la salle de sport. Elle est en ville pour tourner Jade.

Les négociations avec Broderbund (Tom) marquent le pas.

Je suis fauché.

16 janvier 1995

Ce projet est gargantuesque.

17 janvier 1995

Elia m’a fait une offre à 30.000 dollars, ce qui correspond exactement à ce que nous espérions. Nous avons donc notre compositeur !

Ce projet est gargantuesque. Je ne l’ai pas déjà dit, ça ? Ce sera un miracle s’il ne coûte que 2 millions de tickets.

18 janvier 1995

J’ai coincé Netter et Robert et je les ai forcés à me regarder créer un tableau de budget et de recettes et dépenses en Excel. De nous trois, qui eût cru que ce serait moi, le businessman ! On est vite redescendu sur terre : même avec les 600.000 dollars de Broderbund, on aura besoin d’argent frais dans peu de temps – avril au plus tard. Le coût total avoisinera les 2,2 millions de dollars pour la version PC (à supposer qu’on la livre en septembre) ; si on prolonge la location du bureau jusqu’à la fin de l’année, ça fera 250.000 dollars de plus. Aucune chance de récupérer un centime de mon million de dollars avant 1996.

Je ne crois pas que je referai ça un jour. Une fois, ça suffit.

Je me sens dépassé par tout ça.

La vie ne s’arrête pas à ce projet. Il faut que m’en souvienne. Même si je dois y perdre mon million, la vie continuera. Je pourrai toujours écrire, je pourrai toujours vivre, aimer et vivre d’autres aventures… et il y a six ans, c’était là tout ce que je désirais. Ce serait trop bête de laisser le stress m’ôter toute joie de vivre.

21 janvier 1995

Morris est arrivé. C’est le Ciel qui l’envoie. Mon plus grand souhait, c’est qu’entre Morris, Mark, le comptable et le chef de bureau, ils puissent me décharger des aspects business/production/administration/gestion du budget et du bureau et nous laissent, Robert et moi, nous concentrer sur l’amélioration du jeu.

22 janvier 1995

Je relis mes vieux journaux de 1990-92. Je me demande ce que je penserai, dans quelques années, en relisant ceux de 1995.

Les journaux intimes sont bénéfiques s’ils vous aident à vous concentrer sur le présent, à l’apprécier, à le vivre pleinement, à rester ouvert à toutes les possibilités, à décrocher la timbale quand elle passe à proximité…

Le week-end prochain, j’irai skier.

24 janvier 1995

Je dois être épuisé. Tomi, Robert et Mark m’ont tous regardé attentivement aujourd’hui et ont lancé « tu as l’air fatigué » ou « tu as l’air malade. » Je suppose que je suis surtout stressé.

Tom Marcus traîne les pieds, apparemment très peu pressé de conclure notre accord. Bill Jones était monté de L.A. hier et Tom s’est arrangé pour éviter de le rencontrer. On attendait ces 600.000$ il y a des semaines et pourtant, l’état actuel du contrat nécessite encore deux bonnes semaines de travail.

Je suis épuisé et on n’a plus d’argent.

On a accumulé 40.000$ d’arriérés de charges sociales.

Tomi peut me prêter 50.000$ de plus, mais c’est la limite. Je déteste lui devoir de l’argent.

On va être obligé de mettre les droits d’adaptation en vente presqu’immédiatement, dans les deux ou trois mois. L’argent de Broderbund sera dépensé d’ici à la fin avril.

On est en retard sur le planning. Tout le monde réclame plus de personnel et de matériel. Le budget reste fixé à 2 millions de $. On essaie de le limiter, mais on dirait que ça a plutôt tendance à augmenter.

Personnellement, j’ai des doutes sur la possibilité d’avoir terminé pour Noël, même pour la version PC.

Ajoutez à cela les soucis habituels, comme surmonter les obstacles techniques, résoudre les problèmes, faire tout fonctionner, terminer le jeu, avant même de se demander s’il est bon…

Prenez 15 personnes à la forte personnalité et à l’égo surdimensionné et faites-les travailler dans un espace trop exigu ; les esprits auront rapidement tendance à s’échauffer. Pour une raison qui m’échappe, c’est toujours la croix et la bannière pour faire venir Mark et Noel avant midi.

Les contrats, la compta, les assurances et le budget ne sont toujours pas en ordre.

En ce moment, nous sommes terriblement vulnérables, en fait. Au moindre revers, même mineur, c’est la banqueroute.

Hier matin, en arrivant à ma voiture à 7h45, j’ai trouvé les 4 pneus crevés et le toit éventré. Ça va coûter 3.000 $ à réparer.

J’ai vraiment hâte de partir skier.

26 janvier 1995

Les choses ont eu l’air de s’améliorer aujourd’hui.

J’ai eu un dîner intéressant avec Robert hier à North Beach. Coppola et sa femme étaient à la table juste à côté.

Bill Jones a passé la plus grande partie de la journée au téléphone avec Tom. On dirait que ça prend la bonne direction.

30 janvier 1995

Vendredi matin, Netter et moi sommes montés à Novato pour rejoindre Doug et Tomi à l’aérodrome. On a volé jusqu’à Aspen en 2 heures et demie, puis atterri dans un petit aéroport privé qui ressemblait plutôt à un bed & breakfast qu’à un terminal. La Jeep de location nous y attendait, on a roulé 10 minutes jusqu’aux portes du ranch et 10 de plus à travers la propriété, jusqu’à nous retrouver au Paradis.

Deux jours de pur ski. Le bonheur.

4 février 1995

Semaine particulièrement intense chez Smoking Car. Comme toutes les semaines.

Sandrine est retournée en France, après pratiquement une année ! Vu que son visa avait expiré depuis plus de trois mois, on a eu peur qu’elle ait des ennuis à la frontière, mais ça n’a pas posé de problème.

Patrick et moi passons de très longues journées de travail ensemble. Il était encore au bureau quand je suis parti à 1h du matin.

6 février 1995

Je perds les pédales.

Respire à fond. Respire. Pas de panique.

Tu voulais du corsé ? Tu es servi. Il faut boire la coupe jusqu’à la lie, maintenant.

Galerie des personnages :

Les « Stars » : Mark N, Robert, Patrick, Nicole, Mark M, Donald, Jordan. Combien de temps avant que tous ceux-là craquent ?

Les « Ouvrières infatigables » : Justin, Noel, Juliana, Anita, Terry. De combien de gens comme eux avons-nous besoin en plus ?

Les « Incertains » : Jerzy, Elia, le designer sonore mystère. Seront-ils à la hauteur ?

Les « Rouages » : Dan, Charles, John, Corby.

Et les autres, qu’on doit encore recruter…

8 février 1995

On a pris l’avion pour Burbank avec Patrick pour aller voir la première du film de George dans la salle de la Writers Guild. Le film était bon, d’une intensité émotionnelle inattendue.

15 février 1995

On a monté la scène du concert aujourd’hui, sur de la vraie musique préchargée sur l’AVID [la machine de montage vidéo louée à prix d’or pour les besoins du projet, NDT] à partir des cassettes audio numériques.

Fête sur la terrasse pour la Saint-Valentin. Toutes les lumières des gratte-ciel étaient allumées pour Jade (en train d’être tourné à l’hôtel Fairmont). Tout le monde à la fête s’en est étonné. J’étais le seul à savoir que c’était notre Franny qui était derrière tout ça.

18 février 1995

Les esprits ont commencé à s’échauffer aujourd’hui. Mark, Nicki, Patrick et moi nous sommes copieusement grogné dessus ; Terry et Robert, quant à eux, sont restés joyeux et imperturbables. C’est la rançon des longues journées. Surtout un samedi après-midi ensoleillé.

Mark, Robert et moi avons terminé la soirée avec une bouteille de vin autour d’une pizza de chez Tommaso. Mark a fait remarquer : « pour réussir, il faut être prêt à payer de sa personne. »

Il faut que pense à encourager Nicki plus souvent. Elle en a besoin. Mark aussi, en fait.

20 février 1995

Stress :

  • La programmation a pris énormément de retard
  • Tout le reste a certes pris moins de retard, mais on n’est clairement pas dans les clous
  • On n’a toujours pas signé avec Broderbund
  • L’argent manque, comme d’habitude
  • Charles ne fait pas bien son boulot. Mark n’a pas le cœur de le virer ; Robert a des scrupules parce que c’est son cousin. Ça veut dire que c’est moi qui dois m’en charger ?
  • Je ne me suis jamais senti aussi vulnérable, à tous points de vue. Je me sens comme un château de cartes que le moindre courant d’air ferait s’effondrer
  • J’en ai pour 1500 dollars d’amendes pour stationnement illicite non-payées. Je n’ai pas fait ma lessive depuis un mois. Mon dentiste m’a mis sur liste noire parce que j’ai annulé trop de rendez-vous

21 février 1995

Je me suis levé tôt, j’ai payé toutes mes amendes. Une expérience kafkaienne.

Dernière étape du montage des scènes cinématiques. Terry, Nicki et moi. Je vois Mark à 8h du matin demain pour lui montrer quelques scènes et glaner ses conseils.

Le temps est superbe. Ça réveille mes plus bas instincts.

22 février 1995

Terry n’est plus là. Robert et Patrick sont partis jusqu’à lundi. Je serai donc seul avec Claire, la nouvelle monteuse. Notre objectif est de terminer l’enregistrement (pour Elia et Poolside) pour lundi. Quelque 150 scènes cinématiques se déclenchant à une heure précise, avec les repères correspondants. Yowza !

Mon autre objectif est de signer le contrat avec Broderbund vendredi.

Dani a été acceptée à Berkeley.

23 février 1995

Première journée de montage avec Claire. Frustrante.

On ne signera pas le contrat cette semaine. J’en ai marre, mais à un point…

26 février 1995

J’ai relu L’Oiseau du Paradis [roman d’Ada Leverson jamais traduit, NDT] pour la première fois depuis des lustres. Ses défauts me sont apparus très clairement. Je ferai mieux la prochaine fois. J’ai envie d’écrire quelque chose de nouveau.

On a terminé le montage hier. J’ai refait la scène 1313 tout seul, après le départ de la monteuse en chef et de son assistant. Ça m’a pris des heures, mais j’ai enfin appris à me servir de l’AVID. Pas trop tôt.

John (l’assistant monteur) est là ; il prépare la copie au format ¾”.

Qu’est-ce que je serai content de sortir de cette phase !

27 février 1995

Déjeuner à la Maison de Nanking avec Patrick et Sandrine. C’était génial de revoir Sandrine. Ça m’a fait regretter Paris.

Je vais rencontrer Elia à L.A. dimanche pour parler musique. Il part pour Prague lundi matin.

Lisa est morte cet après-midi. Papa m’a appelé pour me l’annoncer. Les obsèques ont lieu vendredi. Je ne pourrai pas y être. Je ne sais pas quoi faire à part lui dédier le jeu.

1er mars 1995

La cassette avec les scènes cinématiques est prête. Une étape cruciale. C’était grisant de pouvoir toutes les regarder, dans l’ordre, sur un écran de TV. Tomi aussi était emballée.

3 mars 1995

Réunion au sommet chez Broderbund, avec Tom et Ken de leur côté et Bill, Jon, Robert et moi du nôtre. Nous sommes restés enfermés cinq heures dans la salle de conférence. C’était éreintant. Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience d’à quel point j’étais exsangue.

Bill avait tellement raison ; ce qu’il fallait, c’était nous mettre tous autour d’une table. On aurait dû faire ça il y a deux mois. Bref, sauf complication imprévue, on devrait signer mercredi.

Franchement, il était temps !

4 mars 1995

[LA] Je me félicite d’avoir passé quelques heures avec Elia, à lui montrer la cassette. Il n’y a rien de tel que la communication en chair et en os. Il se rend à Prague pour deux semaines. Je trépigne, j’ai tellement hâte qu’il rentre et qu’il se mette à travailler sur la musique !

6 mars 1995

[SF] Journée ensoleillée mais froide. J’ai rendu visite à Franny au Sheraton. L’équipe de montage [de Jade] m’a montré le dispositif de Lightworks et quelques scènes déjà montées.

8 mars 1995

Pluie glaciale et torrentielle. J’ai rencontré Robert et Max chez Bechelli pour le petit-déjeuner, puis en route pour Poolside pour la réunion préparatoire de Dave et Christophe. Pour ce qui est du son, je pense que nous sommes entre de bonnes mains.

Je suis allé voir mon nouveau dentiste, recommandé par Tomi. Mon sourire a retrouvé tout son lustre.

11 mars 1995

Hier, on était vendredi. Brian s’est amené en plein après-midi avec un contrat signé par Tom Marcus et un chèque de 600 000 dollars sous le bras. J’ai ajouté ma signature et on a fêté ça avec deux bouteilles de bon champagne. Alléluia !

J’ai emmené Catherine dîner au Café Macaroni, puis au Rassala pour écouter du jazz plutôt correct.

Ce soir, Patrick et Sandrine ont fait à dîner à Fairfax, Tomi une tarte pour le dessert, et Florence et moi nous sommes rendus utiles. Un bon feu brûlait. Ambiance feutrée et chaleureuse.

16 mars 1995

Le moral est bon depuis la visite de Brian, Bruce et Rima d’hier, qui nous a donné à tous un bon coup de fouet et nous a recentrés sur la CGDC [Computer Games Developers Conference, NDT], qui se tiendra dans un petit mois. C’est de ça qu’on avait besoin : un objectif tangible, bien défini et atteignable.

J’ai commencé à sélectionner les séquences jouables uniques [à montrer à la CGDC, NDT] avec Claire. C’était une des priorités.

Aujourd’hui, Noel a réussi à faire tourner la première scène cinématique de test de façon synchronisée.

Poolside a commencé à enregistrer les sons à utiliser pour améliorer les effets sonores des séquences cinématiques [technique de Foley, NDT]. Dave dit que ça avance bien.

Nicole est revenue après s’être absentée pour aider ses parents, dont la maison avait été inondée à cause des fortes pluies.

On a remercié Corby. Dana se débrouille bien avec le programme Grabface. On a embauché un nouveau graphiste expérimenté.

18 mars 1995

À côté de ma mission principale, à savoir m’assurer que le jeu soit un mégahit et, avant ça, qu’il sorte, mon objectif actuel est de faire du bureau un lieu où il fait bon travailler. Donner de l’amour à chacun. Trouver les éléments qui nous lient entre nous et au projet, et les cultiver. Aux critiques et aux réprimandes, préférer les encouragements et les louanges. Éviter les accès de paranoïa où je m’imagine qu’ils passent leur temps à glander ou à bâcler leur travail, par manque de loyauté ou d’intérêt. Penser à ce qui les motive, eux ; choisir des incitants qui leur parlent. Comme disait Doug : « Dorlote-les, mais sans rien attendre en retour. »

Peu importe le reste ; pour moi, le sens premier de ce projet, c’est d’apprendre à mener une équipe. C’est une occasion qui ne se représentera peut-être plus, en tout cas pas sous cette forme, extrême et chahutée. Je dois la saisir à bras-le-corps.

20 mars 1995

Les raisons de continuer à alimenter ce journal :

  • C’est une lecture très divertissante après quelques années

Les raisons d’arrêter :

  • D’autres pourraient le lire

Il semble que je sois, par nature, incapable de me défaire du moindre atome de mon passé. Un peu comme les Réplicants dans Blade Runner.

21 mars 1995

Aujourd’hui, j’ai décidé de remercier Claire. Elle me rend dingue. La perspective de virer quelqu’un, sachant qu’elle saura que je suis la raison son départ, me rend malade, mais il valait mieux en rester là pour tout le monde. Toute cette histoire d’édition sur AVID m’a vraiment laissé un goût amer en bouche.

Patrick et moi sommes allés à pied jusque chez Donald cet après-midi. Patrick avait l’air vraiment agacé. J’ai essayé de lui tirer les vers du nez, et il a finalement dit :

« Qui peut se sentir bien dans un environnement malsain ? »

« Quoi, tu ne te plais pas au bureau ? »

« Qui s’y plairait ? »

« Tu as travaillé dans combien de bureaux ? »

« Eh bien… un. »

Je lui ai énuméré toutes les choses que je trouvais positives chez Smoking Car.

« Tu vendrais des glaçons à des Esquimaux », m’a-t-il lancé. « Je ne suis pas d’humeur à essayer de discuter avec toi -c’est d’ailleurs très difficile, ces temps-ci, soit dit en passant- alors vas-y, retourne dans ta bulle. »

Après ça, Mark et moi sommes allés chez Poolside. Ça m’a remonté le moral. Le son va rendre le tout tellement plus vivant ! Le plus chouette, c’est qu’on peut voir Dave et sa bande avancer d’heure en heure. C’est un progrès tangible, qui se mesure en semaines plutôt qu’en mois. Ils connaissent et aiment leur métier, et ils bossent sans se plaindre.

Lueur d’espoir : Sandra Levinson a reçu un appel de Dennis Hays du Département d’État, à propos de Yoana. Se pourrait-il qu’après tous ces appels, télégrammes, sollicitations auprès de députés etc., une brèche s’ouvre enfin ? Croisons les doigts.

22 mars 1995

Fête chez Patrick et Sandrine pour Smoking Car. C’était super, vraiment pile ce qu’il nous fallait : pouvoir relâcher la pression avec tout le monde dans une ambiance détendue. Je dois une fière chandelle à Sandrine. Ça n’aurait pas été pareil si j’avais organisé ça chez moi ; ici, chacun est venu sans ses galons, pas de hiérarchie, c’était parfait.

23 mars 1995

Aujourd’hui il s’est mis à grêler à 9h30, alors que je marchais vers le bureau. Je me suis abrité sous le même store que tous les Chinois qui peuplaient la rue. On est resté là, à regarder (et surtout à écouter) les grêlons tomber de plus en plus fort sur la chaussée et rebondir sur les toits des voitures. Le vacarme était assourdissant.

Au bureau, tout est réglé comme une horloge. Il ne me reste presque plus rien à gérer. Comme je ne peux pas accélérer le mouvement, je me retranche derrière mon bureau et je bricole.

Dans le journal du jour, il y avait un article à propos de la nouvelle société de Spielberg, Geffen & Katzenberg et de leur deal avec Microsoft. En passant, Tomi m’a flanqué un coup de pied et m’a dit « hé ballot, c’est cet article que tu devrais lire. C’est sur toi qu’on aurait pu l’écrire si tu l’avais voulu, mais tu as laissé passer ta chance. » Puis elle est rentrée dans son bureau. Elle m’en veut toujours de n’être pas allé jusqu’au bout du projet de startup des Artistes Associés avec elle et Jon.

Je suis très content de Smoking Car. Si c’était à refaire, je ne changerais rien, même si c’est un naufrage total et que je perde mon million de dollars. Mais 3 ans dans un bureau, ça suffit. 3 ans à être le chef, c’est bon, là. J’ai les épaules pour le faire, mais ce n’est clairement pas une source d’épanouissement.

C’est une chose de mener à bien un projet qui prend 6 mois, ou 1 an ou même 2 ; vous travaillez avec des gens, amis ou ennemis, et à la fin, vos amis restent vos amis. Mais quand ça se fige en quelque chose de rigide, une société, une structure avec vous au sommet et tout le monde ensemble dans le même bureau, non ; ça, je n’en veux pas. Je veux être libre. Je veux retrouver ma vie.

On peut vivre entouré de ses amis ou de ses employés ; il faut choisir. Quoi qu’il arrive, à la fin, on meurt.

Tout ce que je veux, c’est finir Express. La reconnaissance, la rédemption, la délivrance. Et ensuite, la liberté. Est-ce vraiment trop demander ?

2 avril 1995

Je suis passé au bureau hier soir et j’y ai trouvé Patrick, Sandrine et Claire en train de travailler. C’était sympa. Différent de l’ambiance en journée. On a parlé français. On se serait cru à la récré.

4 avril 1995

Énorme panne réseau. Manquait plus que ça.

5 avril 1995

La panne s’avère plus grave qu’on l’avait cru au départ. L’équipe graphique a perdu une semaine entière de travail.

6 avril 1995

L’ampleur du désastre dépasse de loin nos craintes initiales. On a probablement perdu deux semaines de travail. Andrei risque sa place.

« Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on fait payer à Andrei le manque de paranoïa de Robert », a fait remarquer Mark chez Poolside. Je n’ai pas fait de commentaire.

À part ça, tout va pour le mieux. Patrick et les programmeurs sont devenus des bêtes. Dave de Poolside semble avoir les choses bien en main. Même Claire se débrouille, maintenant.

7 avril 1995

Dure journée. Dure semaine.

On a dû virer Andrei. J’ai le cœur lourd. C’était un bon gars ; il s’est simplement laissé déborder. Il venait d’une grosse boîte et n’était pas habitué à toute cette pression et toutes ces responsabilités. Il travaillait sans arrêt, comme un dingue, et avec énormément d’envie et d’enthousiasme.

« Il avait besoin qu’on le materne », a dit Patrick sur ce ton particulier qui le caractérise, « et il est mal tombé avec Robert… il est tout aussi immature que lui ! »

C’est un peu dur, mais ce n’est pas faux. Robert a droit à tout mon soutien et à toute mon estime ; loin de moi l’idée de déprécier mon bras droit. Et si, si, il apprend… si seulement il pouvait apprendre plus vite.

Maman et Papa ont passé la journée au bureau. Papa s’est effrayé de l’énormité du projet et des coûts exorbitants à supporter. Il trouve qu’on a perdu le contrôle et ne voit pas comment on va pouvoir lever 600.000 dollars supplémentaires à temps.

1,1 million de Jordan + 800.000 de Broderbund + 600.000 de ? = 2,5 millions de dollars au total

Et si ce n’était plus 2,5 millions, mais 3, quand on aura loupé les fêtes et qu’on se retrouvera à publier en janvier, février, ou mars ?

Bon sang, l’énergie que je dépense à rester optimiste et à faire en sorte que tout se passe bien… alors qu’il serait si facile et si tentant de baisser les bras et de laisser les choses partir en vrille. Si on avait les fonds, je sais qu’on y arriverait. Sauf qu’on en est loin, ce qui m’oblige à donner le change pour sauver les apparences.

« Ne t’en fais pas, » ai-je dit à Robert aujourd’hui, sur un ton qui se voulait à la fois rassurant et péremptoire, « le financement de ce projet sera assuré jusqu’au bout. Inquiète-toi donc de tout, sauf de ça. »

La bonne nouvelle, c’est que Mark a réussi à faire tourner les OTIS [One-Time Interactive Sequences, NDT] aujourd’hui. Ça va être grandiose. Ça va vraiment être quelque chose de sublime. Ah, si seulement, si seulement, si seulement !

Je nous vois un peu comme la Horde sauvage.

14 avril 1995

On est vendredi, mais on se serait cru un samedi tellement le bureau était désert. Nicki, Claire, Tomi, Juliana, Netter, Robert et Moran manquaient tous à l’appel.

Noel et moi sommes restés tard et avons bien avancé. Patrick et moi sommes passés voir Donald chez lui.

Discussions avec Ken Goldstein hier et aujourd’hui. La Grande Question m’a été posée : le jeu sera-t-il sous le sapin ou non ? Si je réponds que non, alors je le vois d’ici : ils vont probablement annuler la démo pour la CGDC. Empêcher que cela affecte le moral des troupes risque d’être compliqué. D’un autre côté, comment répondre autrement, quand tous les voyants sont clairement au rouge ?

16 avril 1995

Il faut se rendre à l’évidence : on ne sera pas prêt pour Noël.

Netter m’a rappelé hier (après avoir reçu mon message dans la chambre d’hôpital de son père) en me demandant : combien de temps pour finir ceci, cela, et cela ? J’ai répondu :

Programmation des scripts de comportement des personnages : 3 mois

Énigmes et combats : 2 mois

Phase de test : 2 mois

Ce qui nous mène en novembre. En comptant les retards habituels, on pourrait le sortir en janvier.

18 avril 1995

Hier, on a enterré l’idée de la sortie pour Noël et on s’est aligné sur janvier 1996. Pfiou ! Dans l’ensemble, je dirais que la pilule est plutôt bien passée.

Patrick est l’actuel meilleur élément de l’équipe [MVP : most valuable player, expression sportive, NDT]. Il trouve toujours des solutions. Je l’adore.

Hier, j’ai dit à Robert : « Allons manger un bout ensemble ce soir. »

Il a répondu : « On ne s’expliquerait pas à coups de poings, plutôt ? »

Gros conflit avec Mark et Noel aujourd’hui à propos de leur rémunération. Je suis d’avis de simplement leur donner ce qu’ils veulent.

19 avril 1995

J’ai fait un marché avec Mark et Noel. On dira que je me suis couché, mais s’ils respectent leurs engagements, ça en aura valu la peine. S’ils se plantent, alors c’est la bérézina.

Dîner avec Robert. On a recollé les morceaux. Quand on s’est quitté, Robert m’a lancé : « Au moins, on ne s’est pas empoigné. »

Je projette d’en avoir fini avec l’Avid ce dimanche.

21 avril 1995

L’ambiance est bonne. Robert s’est montré enjoué depuis notre dîner mercredi. Mark et Noel travaillent sans répit depuis leur revalorisation. Claire et moi fonctionnons bien ensemble. (On lui a offert des fleurs et des E-Clairs [jeu de mots avec la pâtisserie, NDT] aujourd’hui, car c’était son dernier jour.) On a bouclé les plans des réactions de Cath en quelques heures alors que je les redoutais. Les déplacements dans le restaurant et le salon, les OTIS sont plus au point que jamais. C’est dans la poche.

Donald a envoyé les premiers rendus bruts du restaurant. C’est magnifique. Lui aussi a travaillé sans relâche.

Patrick est parti ce matin pour une semaine dans le désert avec Sandrine, Tomi et Doug. Il va me manquer.

J’ai placé les marqueurs sur les feuilles de route pour les OTIS et pour les séquences de déplacement.

J’ai même trouvé du temps ce soir pour remettre de l’ordre dans ma comptabilité. J’avais des mois de retard dans la gestion de mon compte courant. J’ai réussi à grapiller 20.000$ à injecter dans Smoking Car. Ça devrait nous maintenir à flot jusqu’à la paie de mai. Après ça, retour à la case banqueroute.

Je me retrouve comme pendant le tournage. Je manque de sommeil, je fonctionne à l’adrénaline, je tombe du lit le matin et je me précipite au bureau sans même m’être rasé. Mon estomac est perpétuellement révulsé et quand j’essaie de dormir, mon esprit est en ébullition, ma tête pleine d’Express à en éclater, mais malgré tout ça, je me sens bien. C’est grisant.

24 avril 1995

Hier, début de la Computer Games Developers Conference.

Le temps est magnifique. Quel dommage d’être enfermé dans ce bureau.

Le projet avance.

Carole a appelé. Son père, Gérard, est mort. Ça m’a vraiment fait un choc. Il faut que j’appelle Frédérique en Israël.

26 avril 1995

Je vois trouble. J’ai besoin de plus de sommeil, de plus de soleil, de plus de tout… sauf de ce projet et de ce bureau.

On en a enfin terminé avec l’Avid. Après 5 mois et 80.000$. C’est dingue.

Aujourd’hui, j’ai réconcilié Charley et Mark. On va peut-être avoir un vrai budget, maintenant.

Tous les jours, il y a le feu quelque part, et c’est en général moi qui dois jouer de l’extincteur. Tout ce que je veux, c’est deux jours de congé. Samedi et dimanche. C’est tout ce que je demande. Mais quand ?

29 avril 1995

Jan Putnam est montée d’LA et on lui a montré le jeu – qui, après avoir passé trois jours non-stop dans les mains des programmeurs, ressemble pour la première fois à une ébauche d’un vrai jeu.

Grand entretien avec Robert hier soir. Il m’a confié qu’il n’est vraiment pas dans son assiette, etc. Les choses iront peut-être mieux, désormais.

Les Grandes Questions :

  • Où trouver les 100.000 dollars qui nous manquent pour boucler le mois prochain ?
  • Où trouver les 800.000 qui nous manquent pour boucler le jeu ?
  • Quid de l’Après Express ? Robert, Netter, Mark et Noel, Nicki, Patrick, Tomi et moi, partirons-nous tous chacun de son côté ? Ou serons-nous assez nombreux à rester pour assurer l’avenir de Smoking Car ?
  • Quand vais-je recouvrer ma liberté ?

1er mai 1995

Le père de Mark Netter est mort hier. Mark rentre chez lui.

Aujourd’hui, j’ai bouclé l’écriture des scripts de comportement des personnages pour la Partie 1, et j’ai commencé à jouer avec le programme TEDIT.

Patrick et Tomi ont tous deux proposé : pourquoi ne pas vendre Smoking Car à Doug ?

2 mai 1995

Dîner avec Ken Goldstein. Je me suis jeté à ses pieds pour l’apitoyer.

6 mai 1995

Il s’est passé une foule de choses.

Mercredi : on cravache pour terminer la démo. Brian a passé toute la journée au bureau. On a installé la démo sur sa bécane.

Elia a envoyé la première cassette audio de démo avec la séquence d’ouverture.

Jeudi matin, j’ai été voir Donald et on a discuté du contrat. Pfiou ! Je crois c’est réglé. Donald m’a donné le cd de la bande originale de La Maison Russie pour que je l’écoute. Il a dit que la musique d’Elia l’y avait fait penser.

Robert et moi sommes restés tard au bureau, à préparer un plan pour la prochaine phase du projet.

Vendredi matin, c’était l’assemblée générale. En l’absence de Mark, il m’est revenu de la diriger.

En fin de journée, Ken Goldstein a appelé et nous a dit qu’il nous donnerait un chèque de 100.000$ le 1er juin, plus tôt que convenu. Alléluia !

10 mai 1995

Aujourd’hui, Nicki, Patrick, Mark et moi avons rendu visite à Jerzy à la base militaire où il a son studio.

Ces derniers jours, le développement des énigmes et de l’interface a fait des bonds de géant.

Jon nous prête 50.000$ pour couvrir les 15 jours restant avant l’arrivée des 100.000$ de Broderbund. C’est chic de sa part.

Robert se tient tranquille. Le moral est bon. Tout le monde semble avoir la pêche.

Dès juillet, en revanche, on sera à nouveau dans la m*rde…

12 mai 1995

[00h45] Au téléphone avec Sonitrol et Liz, j’essaie de régler le problème. Je suis au lit, il pleut. Peut-on prendre le risque de laisser le bureau sans surveillance jusqu’à demain ? Je ne crois pas.

[1h30] Je n’arrive pas à dormir, alors je ressors mes journaux d’il y a deux ans.

Les chemins que je n’ai pas empruntés : Dany et Delphine ; Tomi, Robert, Jon & Jordan ; Black Cat Productions. Les choses auraient pu se passer tout autrement.

Je me demande dans quelle mesure la pression que je ressens actuellement vient du fait que j’ai engagé toute ma fortune, 1,1 million de dollars, dans ce truc, et que je n’en vois toujours pas le bout.

Ai-je des regrets? Non, pas à ce stade. Je voulais des sensations fortes, j’ai été servi.

Dans 6 mois, on devrait avoir un produit fini, ou à très peu de chose près.

Après janvier, l’avenir se brouille. Où serai-je dans un an ?

17 mai 1995

Quelle semaine ! On a reçu quatre sociétés japonaises (Softbank, Sunsoft, Imagineer et EA Victor). J’ai fait des démos et parlé jusqu’à l’épuisement. Ras-le-bol.

26 mai 1995

Les Pires Craintes de Jordan :

  • Que Patrick soit extradé vers la France et que personne à sa suite ne sache quoi faire du modèle 3D du train
  • Que Donald parte en vrille et refuse de nous donner le modèle
  • Que Robert pète un câble et claque la porte dans un excès d’orgueil blessé
  • Que Robert reste et que le projet traîne encore des années
  • Que Donald ne termine jamais la modélisation du train et que nous devions dessiner les décors du jeu à la main
  • Que nous achevions le jeu, mais que seulement 100 personnes aient un ordinateur assez puissant pour le faire tourner dans tout le pays
  • Que nous sortions le jeu mais qu’il fasse un four, ou qu’il reste confidentiel. Envolé, mon million de $

Le pire du pire ? On ne termine pas le jeu. Le groupe s’auto-détruit.

Rien à faire, écrire ceci ne m’apporte encore aucun réconfort.

Le plus grand écueil de ce projet reste que le groupe, quoique constitué d’individus vraiment brillants, manque de cohérence en tant qu’équipe. Il nous faudrait un dirigeant expérimenté. Robert et moi n’avons jamais travaillé que seuls, sur nos propres jeux, qui ont tous pris des années de retard.

Et pourtant, on est arrivé jusqu’ici.

C’est à moi qu’il incombe d’être le ciment du groupe. De donner à chacun, au besoin, un coup de main sur ses tâches, sans pour autant l’en déposséder ; de rattraper la sauce quand ils se plantent et de les remettre en selle. Je ne peux pas me permettre de douter ou de râler. Je suis le capitaine. Par définition, je suis tout entier à leur service.

Pour les douze prochains mois, en tout cas.

9 juin 1995

[SFO-Dulles -vol de San Francisco à Washington, NDT-] Pas moyen d’acheter un carnet à l’aéroport de San Francisco. J’en suis réduit à quémander quelques feuilles à l’hôtesse de l’air.

Vendredi, Jon et moi sommes allés supplier Broderbund de nous donner de l’argent… Ken Goldstein m’a écouté raconter mes malheurs, il a gardé les tableaux de flux de trésorerie et de budget que je lui avais apportés et a promis d’en discuter avec sa hiérarchie. Un grand moment de honte.

À l’Happy Hour en bas, Bill McDonagh m’a demandé : « alors, quand me laisseras-tu voir le produit ? ». J’ai répondu : « Quand est-ce que tu passes ? »

Dimanche matin, j’ai pris l’avion pour LA pour rendre visite à notre compositeur. J’ai passé une après-midi frustrante avec Elia, à essayer de résoudre ses problèmes de synchronisation. C’était mon anniversaire. Eileen m’a emmené dîner puis je nous ai conduits jusqu’au sommet de Mulholland Drive, d’où on a pu s’enivrer du spectacle de la ville et de ses lueurs vespérales.

La session de lundi s’est mieux passée. Problèmes de synchronisation résolus. Elia et moi avons passé en revue tout ce qu’il a écrit jusqu’ici, il a refait certains des repères et indices musicaux et composé un Tsardas [danse traditionnelle hongroise, NDT] à la volée. C’était grisant. C’est quand même génial, la musique.

J’avais rendez-vous avec Yelena à Burbank pour le dîner et j’ai loupé mon avion. Elle m’a préparé un lit dans son canapé. Elle m’a fait écouter une chanson de Vysotsky et m’a chanté des chansons en russe. J’ai senti que ça me réveillait.

J’ai pris le vol du retour mardi matin. Mark, Robert, Nicki, Justin et moi sommes allés dîner et je suis tellement lent à la détente que ce n’est que lorsque nous sommes entrés dans le restaurant afghan, en voyant Sam et Nancy qui nous attendaient, que j’ai réalisé qu’on m’emmenait fêter mon anniversaire. Franny, Barb et Patrick nous ont rejoints pour le café. Mes amis.

Mercredi : les nouvelles de Broderbund étaient on ne peut pires. Jon a parlé à Tom Marcus le premier, puis quand je l’ai appelé à mon tour, c’était comme parler à un mur. On sera à nouveau à court d’argent pour la paie du 16 juin, et Tom se refuse à nous avancer ou à nous prêter ou même à injecter dans le projet les 100.000$ d’avance que nous devions toucher à la sortie du jeu. « Nous prenons déjà un risque financier considérable, » répétait-il comme un mantra. « Nous ne souhaitons pas nous exposer davantage. »

Allez savoir pourquoi, ça m’a mis de bonne humeur, et j’ai eu une journée exceptionnellement créative et productive. L’ambiance au bureau était bonne, tout le monde cravachait. J’ai rendu visite à Donald, Marabeth m’a servi du poulet rôti, Donald m’a montré des piles de livres sur les meubles, les horloges, les tapis et que sais-je encore de l’époque, et j’ai eu l’impression qu’on touchait enfin au but.

C’était une chaude soirée d’été. Capote baissée, je suis rentré au bureau pour en arracher Patrick, je l’ai ramené à la maison, où il s’est cuisiné une omelette pendant que j’appelais Jan Putnam. Softbank veut investir dans Smoking Car. Ni une, ni deux, j’ai proposé de lancer une antenne japonaise, que Jan dirigerait. Je débordais d’idées.

Cinq jours comme celui-ci par an, et les 360 autres iront tout seuls.

Serais-je de ceux qui ont besoin d’être acculés pour se dépasser ?

Jeudi, on a invité Dave Nelson de Poolside à visiter le bureau. Suivi de Bill McDonagh dans l’après-midi. Bill était impressionné. Je l’ai emmené prendre un coca en bas et me suis jeté à ses pieds pour l’apitoyer. Il m’a assuré que Broderbund ne me jetterait pas en pâture aux loups. Mais il a ajouté :

« Imagine qu’on te donne 100.000$ maintenant ; qui nous dit que tu ne vas pas revenir dans un mois pour obtenir 100.000$ de plus ? On doit trouver une solution à long terme. »

On s’est promis d’y réfléchir pendant le week-end.

Je suis sur le fil du rasoir.

Je me réjouis de passer le week-end avec la famille. Les voir tous ensemble me met dans un état d’esprit favorable à la prise de grandes décisions. Et Papa aura peut-être l’une ou l’autre idée originale.

Mercredi, j’ai pris Justin à part et lui ai proposé une part des bénéfices s’il accepte de rester jusqu’à la fin du projet. Ça impliquerait de reporter ses études d’un an. Je pense qu’il va accepter. Robert et Mark étaient tous deux surpris, ils pensaient qu’il serait imperméable à toute tentative de persuasion. Si Justin reste, ça pourrait nous sauver la mise.

Je m’amuse. Je suis heureux. Dieu seul sait pourquoi. Un observateur extérieur dirait plutôt que je suis sur le point de me faire couper les roubignoles.

Bah, elles sont encore là. C’est peut-être pour ça que je me sens si bien. Peut-être qu’on est en panne d’essence, que la route est raide, sinueuse et très dangereuse, mais au moins, je suis toujours au volant…

12 juin 1995

Grande réunion de famille à l’occasion du 65e anniversaire de mariage de Grand-Maman et Grand-Papa. Maintenant que je suis rentré, j’ai l’impression de n’avoir vécu ce week-end qu’en rêve… sauf que l’amende que la police de Virginie m’a collée pour excès de vitesse est bien réelle, elle !

J’ai préparé une lettre à l’attention de Softbank, juste pour le cas où ils se révèleraient être nos sauveurs. Ils veulent revenir le 6 pour dîner.

14 juin 1995

Bill McDonagh a accepté de nous donner les derniers 100.000$ tout de suite. Dieu merci. Je me suis entretenu avec Mark et Charley cet après-midi pour trouver le moyen de faire durer la somme jusqu’à la fin juillet. Il faudra se serrer la ceinture.

J’ai appelé Jan Putnam et je lui ai simplement dit que je la laissais s’amuser avec les droits mondiaux du jeu. J’ai adoré ça, prendre la décision sur un coup de tête, en plein milieu de la conversation, et sans consulter personne : ni Tomi, ni Robert, ni Jon.

Il nous faudra encore un million de dollars pour nous maintenir à flot entre le 1er août et la fin du projet. Dieu seul sait où on va trouver cet argent.

Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas remboursé l’intégralité du solde de ma carte de crédit ce mois-ci.

16 juin 1995

On s’est rendu chez Broderbund en voiture avec Netter, Robert, Mark, Noel et Justin, puis on a passé quatre heures épuisantes à faire la visite des lieux avec Brian (c’était la première fois là-bas pour les gamins). Réunion avec Kira pour la régionalisation, avec Bruce pour le marketing, avec Lance pour la version Windows 95. On est reparti avec un chèque de cent mille dollars.

21 juin 1995

On a esquissé un plan pour l’avenir de Smoking Car après Express. Moi et Tomi. Dragon, suivi d’Express 2. Avec ça, on devrait pouvoir appâter un PDG, un directeur technique, et lever deux bons millions de dollars.

Suis-je partant ? Bien sûr. Tant que ce n’est pas mon argent dans la balance et que je ne porte pas tout sur mes épaules. Ça pourrait être très chouette de développer un nouveau titre.

Regardez comme j’ai changé, en deux ans !

26 juin 1995

Jan Putnam est venue d’LA. Déjeuner avec Mark Dyne, le président de Sega-Ozisoft, qui, non content de lancer plus d’idées de financement à la minute qu’un candélabre romain fait jaillir d’étincelles, a aussi gracieusement payé la note. On est fait pour s’entendre, lui et moi.

27 juin 1995

Il se peut que je ne revoie jamais mon million. Ce ne serait pas la fin du monde. L’important, c’est de terminer avec les honneurs… tout donner, faire de mon mieux… et APPRENDRE, apprendre le plus possible.

Notes pour demain :

  • Me montrer rassurant envers Netter. Il est dévoré par l’angoisse. Il lui faut du positif, de l’espoir, de la bonne énergie
  • Graviter autour de chacune et chacun au bureau, poser des questions, trouver les problèmes et les soumettre à la collectivité
  • Faire sentir à Nicki combien elle est appréciée

5 juillet 1995

La visite de Softbank, c’est demain.

J’ai fait une journée de 16 heures aujourd’hui. Quand j’ai quitté le bureau, Robert, Mark, Noel et Justin y étaient encore, et pas pour se tourner les pouces.

Cette démo a vraiment été bénéfique pour notre productivité. On a fait des bonds de géant ces deux dernières semaines. Patrick et moi sommes allés chez Donald aujourd’hui ; il est sur le point d’achever la modélisation du salon. J’ai commencé à intégrer les rendus de Patrick : le salon et les compartiments dans [le programme] TEDIT. August et les Serbes se promènent dans le wagon-restaurant. La cinématique 1011 est intégrée. Ça commence à prendre vie.

On sera à court d’argent à la fin juillet.

L’énergie et l’angoisse sont mes moteurs, et ma productivité est maximale.

6 juillet 1995

Une journée mémorable. La démo pour Softbank a été un succès total. Même nous étions impressionnés ! Ce jeu va être incroyable. Pour la première fois, Robert et les autres au bureau ont pu entrevoir La Vision. Ces dernières 24 heures de programmation ont permis de donner au jeu une forme visiblement plus aboutie.

Dîner à La Folie. Jan, Robert et moi avec la délégation de Softbank : Hashimoto-san, Kaji-san et Mark Hayama. J’ai payé l’addition : 420$.

Plus tôt, au bureau, Jan avait dit : « Notre objectif est une garantie de 50.000 copies à 12$ de royalties ou 10% des recettes sur les ventes au détail, en fonction du montant le plus élevé », ce à quoi ils avaient répondu qu’ils devaient y réfléchir. Mais au dîner, Hashimoto-san a lancé : « Nous acceptons votre proposition. » Je crois que Jan était tellement stupéfaite qu’elle n’a pas su quoi dire. Trente secondes plus tard, Hashimoto-san et moi trinquions au succès de notre collaboration. Le dîner fut une véritable opération séduction. Sans la barrière de la langue, ça n’aurait pas été pareil. Mon numéro de charme était irrésistible, mais quoi de plus facile quand on vous couvre de louanges en vous tendant un chèque de 600.000$ ?

C’est confirmé : Robert ira à Boston. Il restera jusqu’à la fin d’Express puis il ira faire Underground en solo. C’est bien que les choses soient claires. Plus ça va, plus j’apprécie Robert.

J’ai proposé à Jon Thompson de rejoindre l’équipe à temps plein.

Dans l’ensemble, ça s’annonce plutôt bien, je dirais.

8 juillet 1995

Je me suis envolé pour L.A. pour passer cinq heures avec Elia à passer en revue les repères musicaux. Je suis épuisé. Je n’ai quasiment pas dormi cette semaine.

12 juillet 1995

Jan a laissé un message disant que Softbank a accepté de payer 1,5 million de dollars pour les droits PlayStation. 200.000 unités à 7,50$ de royalties. 300.000$ maintenant, le reste plus tard. Ils doivent être dingues.

13 juillet 1995

Il a fallu me rendre à l’évidence : Donald ne pourra jamais finir le boulot tout seul.

Dîner avec Robert et Patrick au Fog City Diner. On a décidé d’abandonner les plateformes (entre les voitures du train) autour d’une bouteille de Châteauneuf-du-Pape.

Dernière ligne droite. Plus que sept mois.

14 juillet 1995

Patrick, Robert et moi sommes allés voir Donald et lui avons présenté le planning à respecter pour les rendus du train. Il était d’avis que c’était faisable.

« Non, Donald, ce n’est pas faisable », ai-je répondu.

On a discuté de toutes sortes de solutions puis on est parti, laissant Donald à ses réflexions.

Cinq minutes après mon retour au bureau, le téléphone a sonné. Donald propose d’installer Patrick et Graham dans sa buanderie pour les quatre prochains mois. Alléluia ! Ça pourrait bien nous sauver la mise.

Robert et moi avons tous deux secoué Mark et Noel pour leur faire comprendre l’urgence de la situation.

Hier soir, j’ai reçu un appel de Noel. Il veut qu’on se voie tôt ce matin. Oh, bon dieu… Pitié, épargnez-moi une nouvelle crise.

15 juillet 1995

Samedi, on a installé Patrick dans la buanderie de Donald. J’ai trouvé ça incroyablement attendrissant. C’était l’une de ces rares journées de fournaise comme on en a quatre ou cinq par an. On s’est réparti les tâches. Patrick et moi sommes allés choisir des bureaux chez Busvan, les avons ramenés et assemblés sur le porche. Mark et David, aidés de Marabeth, ont placé des stores et posé un tapis. On est retourné au bureau pour prendre Robert, 3 Mac et 4 écrans.

Smoking Car North est opérationnel.

J’ai fini par comprendre que ce n’est pas avec moi que Noel a un problème, mais avec Robert. C’est une banale histoire de rivalité, et quelque part, j’aime mieux ça. J’en ai touché un mot à Robert hier devant chez Donald, puis de nouveau dans la soirée lorsqu’il m’a téléphoné, visiblement chamboulé, en plein milieu du film Chaplin que je regardais avec Patrick. Comme un brave médecin de campagne, j’ai remis mes chaussures et j’ai pris la voiture jusqu’au bureau à minuit pour voir Robert et lui apporter mon soutien.

« Noël en février » : c’est notre nouveau cri de ralliement.

17 juillet 1995

Cathy Carlston est morte. Les funérailles ont lieu demain.

19 juillet 1995

Smoking Car North semble tourner. Mais tout ce qui concerne de près ou de loin Donald est cause d’irritation. Patrick s’est fâché hier après les obsèques de Cathy, et nous a plantés, Robert et moi, dans un café à Powell Street. On s’est rabiboché aujourd’hui et on a mis l’incident sur le compte des différences culturelles.

20 juillet 1995

La cassette d’Elia est arrivée, avec les repères musicaux en version orchestrale. Ça donne la chair de poule.

Je l’ai fait écouter à Donald et Marabeth. Ça a complètement bouleversé Donald. Il était excité comme un gosse. Pour la première fois, je l’ai vu prendre conscience que ses décors précalculés n’étaient en réalité qu’une partie d’un tout bien plus vaste.

Je partage ce sentiment. La musique rend le tout tellement plus réel.

21 juillet 1995

J’écoute la musique d’Elia sans arrêt.

Le jeu va être incroyable ; j’arrive à visualiser l’ensemble à présent. Je voudrais tellement y être déjà

Il reste 3 mois et une semaine avant la phase beta. Enfin, d’après le calendrier. Mes aïeux, ça va être court.

Dans ma tête, j’ai déjà laissé tomber le simulateur de train. Il fallait bien lâcher quelque chose. Me concentrer sur les combats pour structurer le Chapitre 5. Joindre les scènes cinématiques « La Poursuite démarre » et « La Poursuite s’achève » pour former une méga-séquence cinématique. Personne n’en saura rien. La seule chose dont on ne peut vraiment pas se passer, c’est le mini-simulateur de train après la scène cinématique 1315, où il faut simplement faire redémarrer le train (et le jeu) pour poursuivre. Consacrer toute l’énergie à cette toute petite « énigme. » (Soupir)

Ce qui me tient vraiment à cœur, c’est l’alchimie entre les décors et les personnages animés, les OTIS [One-Time Interactive Sequences, NDT] et les NIS [Non-interactive sequences], les dialogues, la musique et les bruitages. Créer un monde interactif en 3D peuplé de personnages vivants, comme on n’en a encore jamais vu dans un jeu. Alors oui, un vrai simulateur de train aurait été sympa ; une carte parlante aussi ; les énigmes de la bombe, du scarabée et du bureau de Kronos auraient été bienvenues pour pimenter l’expérience… mais il faut savoir faire des choix.

25 juillet 1995

J’ai conduit Patrick à l’aéroport hier soir pour y retrouver Sandrine et sa petite demi-sœur Lucie. Il était dans tous ses états. C’était touchant… Bref, elle est là, elle va bien et ce soir on lui improvise un anniversaire surprise (avec deux mois de retard).

Deux jours de folie au bureau. Netter était de retour aujourd’hui.

28 juillet 1995

Mercredi j’ai poussé Noel dans le bureau de Jon et on a eu une discussion à cœur ouvert, de patron à employé. Ce qui le taraudait était : qui allait payer les billets d’avion qu’il ne pourrait pas utiliser vu qu’on lui avait refusé ses congés ? J’ai dit que je lui paierais ses f**tus billets.

C’est le quatrième employé que j’ai vu pleurer depuis le début du projet, sans compter les acteurs.

L’ambiance est bonne, je dirais. Ça pourrait avancer plus vite, mais les stars de l’équipe continuent à assurer.

Situation difficile avec Jon Hamren. Il propose de nous prêter les 125.000 $ dont nous aurons besoin pour survivre aux mois de disette, à partir d’août jusqu’à ce que l’argent de Softbank nous arrive ; le problème, c’est qu’il impose un taux d’usurier, plus un bonus à la sortie, et des garanties dans tous les sens. Ce qu’il veut vraiment, c’est entrer dans le capital de Smoking Car et devenir partenaire ; mais comme je n’ai pas vraiment accueilli sa requête à bras ouverts, et Tomi non plus, je conçois que ça l’ait blessé.

2 août 1995

J’écoute la dernière bande d’Elia pour l’accompagnement des cinématiques. Quatre-vingt-dix minutes de musique qu’il a créée pour nous. Je n’en reviens pas.

Jon est d’accord de nous prêter 125.000 dollars, contre deux pour cent supplémentaires sur les recettes nettes, à 2.500 dollars d’intérêts par mois — montant porté à 3.000 s’il faut plus de trois mois pour le rembourser. J’aurais préféré ne pas en arriver là, mais je n’ai pas le choix. Et je prie pour qu’il ne se ravise pas.

7 août 1995

J’ai convoqué les bénéficiaires des recettes et, avec toute la gravité de rigueur, leur ai annoncé l’accord passé avec Jon. Le résultat a dépassé mes espérances : ça a été un coup de massue — surtout pour les programmeurs. Indignation :
« Quoi ? Deux pour cent ?! »

Et sans demander leur reste, ils se sont mis à bosser comme jamais.

Je crois bien que ce sont les deux pour cent les plus galvanisants que j’aie jamais concédés.

14 août 1995

Eileen a appelé depuis New York. Elle s’entraîne dans le massif des Catskills pour le show itinérant Mortal Kombat.

17 août 1995

Aujourd’hui, j’ai préparé une bande de démo à l’intention de Softbank. Et franchement, le résultat est plutôt bluffant. Ça va sûrement impressionner Son-san.

John Hollingsworth est venu au bureau — nous l’avons enfin rencontré en personne. Un type sympa, intelligent. On a pris la voiture ensemble pour rencontrer Broderbund. J’étais tellement absorbé par ce que je disais qu’on a loupé la sortie ; on ne s’en est pas rendu compte avant d’arriver à Petaluma.

Notre rendez-vous avec Tom et Ken, censé porter sur les versions japonaises, a pris une tout autre tournure. Je n’en dirai pas plus ce soir ; ça me mettrait les nerfs en pelote et je ne pourrais plus fermer l’œil.

On se prépare pour les enregistrements voix de mercredi et jeudi.

Nicki est revenue. Génial ! Le département artistique revit.

Hier soir, Mark et moi avons pris la voiture jusqu’à Berkeley pour rencontrer Les Blank et assister à la projection de trois de ses documentaires courts. Je ne pense pas qu’il soit le bon choix pour notre Making Of. Dommage.

20 août 1995

Tom Marcus m’a appelé vendredi soir. Il voulait faire la paix. On a pris le petit-déjeuner ensemble samedi matin chez Ella. Je crois qu’il est sous pression pour l’ouverture du bureau européen de Broderbund et qu’il est sur le point de craquer. Je ne sais pas trop quoi faire.

23 août 1995

Déjeuner avec Bill McDonagh à la Cantina.

Premier jour du deuxième tour des enregistrements vocaux aujourd’hui. Demain : deuxième jour.

28 août 1995

Lundi. La semaine redémarre. Robert est de retour. Justin aussi. Et tout le monde est furieux : Donald n’a pas terminé les rendus ce week-end.

Dîner avec Patrick et Robert au Bistro Méditerranée. On a refait le monde autour d’un couscous (le « monde » se résumant à l’intersection entre Smoking Car North et Smoking Car Jackson St.).

« Comment va ta copine ? » m’a demandé Sandrine.

« Ce n’est pas ma copine », ai-je répondu comme un gamin de sixième.

« Dommage. C’est elle que je préfère entre toutes. »

Patrick s’est mis à énumérer : « Elle a trente ans, elle est hétéro, célibataire, elle sauve des vies (ce qui, tu en conviendras, est plus noble encore que créer un jeu vidéo), elle joue de la guitare mieux que toi, et elle est juive. Vous pourriez donc vous marier. Aucune raison que tu en pinces pour elle, donc, au-cune ! »

« Tu te crois malin ? »

« Non. J’ai juste appris à te connaître : tu ne te décides à tomber amoureux qu’une fois que l’un de vous deux a acheté son billet d’avion pour l’autre bout du monde. »

31 août 1995

Mardi : Tomi est revenue.

Mercredi : présentation de deux sociétés de production, toutes deux en lice pour réaliser la bande-annonce et le Making Of.

Troisième démo pour Softbank (Mark Hayama) : on est sur du velours.

Donald ne nous a toujours pas envoyé les rendus du couloir.

Robert et moi sommes allés le voir. On a fait venir Patrick et heureusement : on a pu arrêter Donald avant qu’il fasse un paquet d’erreurs -six au moins, dont chacune aurait à elle seule mis en péril l’objectif de terminer pour demain… là, on peut encore y croire.

Supervision renforcée à partir de maintenant.

Hugo Pratt est mort.

6 septembre 1995

Journée archi-remplie aujourd’hui.

Budget de localisation, John Hollingsworth, Tom Marcus, Ken Goldstein, doublage ou bien sous-titrage…

Nicole, les artistes sont agités, Javier nous quitte pour un autre job…on n’en sort pas, là. Il nous faut un plan pour galvaniser le département artistique.

Nicole doit apprendre à déléguer. Il n’y a pas de numéro deux.

Softbank, Imagineer, Jan, M. Kamikura veut ce jeu, il est prêt à payer n’importe quel prix… Où était-il, il y a six semaines ?

Donald, Patrick, ces rendus qui nous rendent dingues.

Lundi, début du mixage chez Poolside.

C’est le moment (comme d’habitude) de monter au front, de montrer l’exemple, de rallier tout le monde, de les recentrer sur la tâche à accomplir, de leur redonner espoir dans le futur et…

Que se passera-t-il après Express ?

Cette question pourrait bien vite revenir sur le tapis.

14 septembre 1995

Une sacrée semaine…où j’ai brillé par mon absence. J’étais chez Poolside, au coude-à-coude avec Dave, à pré-mixer les séquences cinématiques dix heures par jour lundi, mardi, mercredi, et encore huit heures aujourd’hui. Cette bande originale va être d’enfer !

Je pourrais écrire des pages sur le mixage, mais…

En réalité, l’important, c’est ce qui se passe avec Grabface en ce moment : c’est là que nous concentrons tous nos efforts.

Tout aussi important, la nouvelle du départ de Brian de Broderbund après quinze ans — et ses raisons !

Ou encore la conversation que j’ai eue hier soir avec Ken Goldstein (depuis le fax de Poolside, utilisé comme téléphone).

Et Donald, qui a reçu ce soir à 19h la visite de Jordan, Patrick et Robert, et qui en est ressorti agréablement surpris : « je pensais que vous veniez me passer un savon, mais en fait vous êtes juste venus me dire quoi faire. »

Et puis l’anniversaire de Patrick chez Doug et Tomi mardi soir, la visite de George et Suzanne, sans oublier…

Un nouvel extrait des carnets de Jordan « Il y a 30 ans cette semaine » sera publié ici mercredi prochain. Merci de votre visite !

Ce site contient des trésors d'informations à explorer sur les projets passés et actuels de Jordan. Tenez-vous au courant des dernières mises à jour dans la section Dernières nouvelles.